
L’usine des jours suspendus
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L’usine des jours suspendus
Récit d’une couturière dans l’urgence du confinement
Avril 2020. La France est confinée. Les rues sont silencieuses, les écoles fermées, les visages masqués — quand on a la chance d’en avoir.
À La Teste-de-Buch, sur le Bassin d’Arcachon, un projet fou naît dans l’urgence : transformer le Parc des Expositions en usine de fabrication de masques en tissu. En 48 heures à peine, les premières machines ronronnent, et les premiers masques tombent des mains de couturiers et couturières venus de partout.
Parmi elles, Coralie. Couturière indépendante. Une femme discrète mais engagée.
Le premier jour
“Je ne savais pas à quoi m’attendre. Tout était flou à cette époque. Mais quand on m’a proposé de participer, j’ai dit oui tout de suite. Je voulais aider.”
Coralie débarque avec sa machine à coudre et un sac d’appréhension. Elle découvre une immense salle transformée en atelier collectif. Des tables alignées, des machines industrielles, des rouleaux de tissu, des schémas accrochés aux murs, et surtout… des visages. Cachés derrière des masques, mais des regards déterminés.
Une cadence, un but
Chaque jour, des milliers de masques sortent de l’atelier, cousus à la chaîne dans un ballet coordonné. Les gestes sont rapides, précis, mais jamais impersonnels.
“On n’était pas juste là pour produire. On cousait pour protéger. Chaque masque, on le savait, allait finir sur un visage. Celui d’un soignant, d’une personne fragile, d’un inconnu.”
La fatigue est là, bien sûr. Les journées sont longues, parfois jusqu’à 10 heures de couture. Mais la fierté d’être utile tient debout tout le monde. Le soir, Coralie rentre chez elle vidée, mais habitée.
Une aventure humaine
Plus qu’un atelier, l’usine éphémère devient une bulle de solidarité.
“Il y avait quelque chose d’émouvant dans le silence des machines. On ne parlait pas beaucoup, mais on se comprenait.”
Des liens se créent. Des amitiés naissent. Des silences partagés prennent le poids d’un combat commun. Chacun à sa façon fait face à ses peurs, en transformant l’angoisse en action.
Le dernier masque
Le 9 juin 2020, l’usine ferme. Le monde reprend son souffle. Les marchés de masques sont saturés, les grandes productions ont repris.
Coralie coud un dernier masque, range sa machine, essuie discrètement une larme.
“On avait cousu plus d’un million de masques. C’est fou quand on y pense. Ce n’était pas seulement du tissu. C’était notre manière de dire : on est là.”
Et après ?
Coralie est retournée à ses créations artisanales, ses accessoires faits main, son univers tendre et poétique. Mais quelque chose a changé.
“Depuis, chaque couture a un peu de cette période en elle. Ce goût de l’utile. Cette mémoire du collectif. Cette certitude que, même seule, on peut être un maillon d’un élan plus grand.”
Une page de vie cousue de courage
Aujourd’hui encore, quand elle évoque cette aventure, Coralie parle avec pudeur, mais avec intensité. Ce n’était pas son usine, ni son projet. Mais elle y a laissé des heures, de l’énergie… et une part d’elle.
Parce que parfois, faire sa part, c’est simplement être là. Et coudre.